Étrangement,
les œuvres de Vanessa Fanuele nous ramènent à une singulière atemporalité, instinctive,
ou pourrait-on dire, à une certaine idée d’origines perdues, ces premiers temps
nichés dans les arcanes obscures de notre mémoire collective, dont on a tous
des images assez classiques qui prennent la forme de terres nourricières, de
chaos énigmatiques, de premiers hommes debout...La nature y est omniprésente,
en couleurs éclatantes, grossièrement jetées, par effet de superposition et de
transparence, qui composent des tableaux lumineux où s’évanouit l’apparition
discrète d’un corps humain solitaire, rapidement croqué dans un aplat d’ocre
pâle, comme pour en souligner l’insignifiance. Des tableaux qui se déploient
parfois en fresque composées de plusieurs panneaux peints et d’où émergent, en
surface, des gouttelettes de peinture ou des coulures volontaires, laissées ici
avec légèreté pour en faire ressentir la matérialité pigmentaire, à l’instar
des flous pastel et humides de Bonnard. Vanessa Fanuele revendique cet héritage
des avant-gardes, ces premières modernités picturales qui ont posé leur regard
sur la décomposition des formes et de la lumière, ces papiers découpés de
Matisse dont on retrouve parfois la trame colorée chez l’artiste. Mais qui dit
modernité, dit aussi abandon, nostalgie, perdition, lorsque le temps décide de
faire son œuvre. C’est alors le prisme du souvenir, de la reconstitution
mentale, qui entre en jeu et c’est peut-être ce cheminement rétro-temporel que
les œuvres de Fanuele nous invitent à faire, devant ces éclats intenses de
couleurs joyeuses qui dessinent des forêts vierges de toute intervention
humaine, devant ces images dont nous avons un jour rêvé dans notre lit
d’enfant, devant ces étranges paysages crépusculaires, où seul le rayon lunaire
semble avoir droit de citer pour éclairer des architectures de fêtes foraines
abandonnées brillantes de feux oubliés. Souvenirs peut-être d’un cinéma
hollywoodien rythmé par les hypnotiques plans-séquences de Michael Mann quand le
bleu nuit s’habille de nostalgie, comme dans la peinture de jeux d’enfants que
nous livre l’artiste sur fond de grands pins maritimes un peu romantiques. Ici,
émerge la mémoire des utopies jadis rêvées par le Bauhaus et Le Corbusier,
discernables à travers les enchevêtrements de lignes où s’animent de frêles modulors
solitaires qui s’emploient à ériger les premières constructions de l’histoire.
Echo inconscient de l’artiste à ses études d’architecture ?
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L'éternel retour, huile sur toile, 150 x120, 2019 |
A
notre tour de plonger dans ces mondes perdus, paradis sauvages ou nuits de
modernité évanescentes, dans ces flous, ces esquisses de structures, sous les
fragiles lanternes du cinéma californien, quelque part entre le rose acidulé et
le jaune clinquant, bientôt pâlis par le temps, quelque part dans une
atmosphère singulière à la Peter Doig, quelque part dans les compositions
barrées d’une bande jaune translucide évoquant l’ancienne pellicule
photographique ou le filtre du songe.
Se
remémorer, comme l’artiste a pu le faire après la disparition de sa grand-mère,
lorsqu’elle ouvrit quelques boîtes qui lui avaient appartenu. C’est en
découvrant ces choses secrètes d’une vie vécue qu’elle décida de devenir
peintre, entièrement. Une manière peut-être d’exprimer par la peinture des
passages, des visions, qui ont petit à petit pris la forme de tropiques
mélancoliques. On ressent ce sentiment d’état originel dans l’Eternel Retour,
grande toile inondée de mousson où transparaît un champ de coton sur fond de
forêt amazonienne, peuplée par quelques esclaves d’autrefois. Lévi-Strauss
aurait pu en livrer un texte inspiré. Cette notion de passage se fait moins
sociologique et plus contemplative dans l’installation en trois dimensions
imaginée par l’artiste, petit théâtre aux contours enfantins dans ses couleurs
et ses éléments architecturés. Tel un conte, un voyage où la silhouette brune
d’un Petit Prince, ici une fillette, nous tourne le dos pour regarder vers le
soleil couchant à l’horizon. Il n’est pas anodin de dire que l’artiste revient,
elle aussi à un état premier, celui de l’enfance, pour mettre en scène
l’innocence retrouvée. Et se peindre discrètement.
Le
29 mai 2019, après ma visite de l’exposition « Eclats sauvages » à la
Galerie Polaris. Vanessa Fanuele expose actuellement au Mini Château d'Eurre à Saoû dans la Drôme dans le cadre Sillon-Itinéraire Art Drôme qui rassemble 35 artistes sur un parcours de 40 km. Du 30 mai au 16 juin.
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