Qu’ils soient galeristes ou artistes, ils exposent pour la première fois à la FIAC. On est allé dénicher certains de ces nouveaux arrivants dont les structures ou les peintures témoignent de l’air du temps.
Adoubés
Il y a 4 ans, j’entrais dans un ancien restaurant désaffecté transformé en lieu d’exposition tenu par une jeune femme à la parole concise et engagée. En quelque sorte un nouveau format de galerie d’art contemporain, qui balbutiait encore ses ambitions et cherchait à décrocher le modèle porteur d’un métier en mutation, celui de galeriste. En apparence, il avait le visage d’un pop-up du fait de son caractère nomade, prêt à investir n’importe quel lieu, pourvu qu’il ait du caractère et la place pour monter une exposition. A l’époque, je ne m’étais pas posé la question de savoir si ce type de concept hybride pouvait être présenté à la FIAC, et du reste, je me serais sûrement dit qu’il était trop précurseur ou trop éloigné de la ligne de la foire. Mais cette année, en regardant la liste des galeries exposées, je remarque son nom dans le secteur Jeunes Galeries : Sans titre (2016). Et je constate qu’il s’est désormais amarré à un domicile fixe au cœur de Paris, au 33 rue du Faubourg Saint-Martin, se rapprochant de fait de la forme d’une galerie d’art. De même, pour son homologue Exo Exo qui fait coup double sur la foire. Une première pour la galerie et pour l’artiste qu’elle présente dans un solo-show – si l’on ne compte pas la FIAC OVR (Online Viewing Rooms) de mars dernier. Pourtant, il y a encore quelques années, rien ne présageait qu’elle puisse être adoubée par le comité de sélection de la FIAC. Elisa Ricochet, sa directrice, aime raconter l’histoire singulière de ce qu’elle a longtemps nommé son project space, c’est-à-dire un lieu d’exposition spontané qui ne se pense pas en galerie d’art traditionnelle mais affiche librement ses choix esthétiques, entièrement voire volontairement détachés des contraintes du marché. Un lieu expérimental et rassembleur, baromètre d’une vision de l’art décalée et avant-gardiste, loin du vacarme des salles de ventes et des foires, quelque part au fond d’une cour, sur la pente douce de la colline de Belleville. De grandes baies vitrées et des murs en brique. En 2012, quand l’aventure prend forme dans l’atelier de l’artiste Antoine Donzeaud, ce type de lieu alternatif n’existe pas à Paris. Elisa et Antoine exposent des artistes jeunes et inconnus, souvent leurs amis. Ils font ce qu’on appelle aujourd’hui de la curation, terme étrange, presque barbare à l’époque, avant de devenir le vocable coqueluche de l’art contemporain. Le projet s’ébruite, les choix d’Exo Exo sont remarqués au point qu’Elisa se rend compte que plusieurs artistes qu’elle avait découverts poursuivent leur chemin en galerie. C’est le déclic : « En 2017, il y a eu un tournant. On s’est posé la question d’être une galerie, c’est-à-dire travailler avec moins d’artistes et plus en profondeur. On s’est donc recentré pour ne représenter que des artistes basés en France mais notre ligne est restée la même : toujours travailler avec des nouveaux artistes qui n’ont jamais été montrés, ni à Paris, ni en France. On défriche, même dans les écoles. » Un tournant oui, mais de là à se projeter sur la FIAC ? Elisa le dit sans ambages : « Nous n’avons pas le temps ni l’économie pour faire foire sur foire, nous devons cibler. Nous n’avons jamais envisagé Art Paris, mais nous avons fait Artorama fin août et nous avons immédiatement pensé à la la FIAC », qu’elle considère comme une carte majeure en termes de visibilité et de progression.
Troublante féminité
Pari réussi avec la jeune Cecilia Granara, fraîchement diplômée des Beaux-Arts de Paris et du Hunter College de New York. Exo Exo lui offre sa première exposition personnelle en 2019 et en parallèle la jeune femme participe à plusieurs expositions collectives. « Une belle énergie » selon Elisa. A la FIAC, le solo-show de Cecilia prendra la forme d’une grande chorégraphie visuelle. On pourra découvrir les lignes ondulantes de sa peinture qui fécondent des corps féminins solaires dont l’acidité sulfureuse des couleurs leur procure une dimension aussi spirituelle que charnelle. Nés de la pulsion du désir ou de l’or d’une divinité ancestrale ? Impossible de savoir. Le regard se délecte et s’angoisse à la fois. Assurément, il reste accroché à ces formes symboliques, presqu’éthérées parfois, troublantes métamorphoses se fixant dans notre rétine, comme des idoles. La jeune artiste, prometteuse, attise déjà l’intérêt de collectionneurs, et même majoritairement de collectionneuses.
Intimités d’hier et d’aujourd’hui
Trentenaire comme Cecilia Granara, Jean Claracq bénéficie aussi d’une exposition à la FIAC mais au musée Delacroix, dans le cadre du parcours Hors-les-Murs. Sous l’égide de la galerie Sultana qui le représente, ses tableaux figuratifs dialogueront avec l’intimité de l’atelier du peintre du XIXe siècle. S’il a été très remarqué au moment de sa première exposition personnelle à la galerie en 2021 et lors d’une carte blanche « Open Space » réalisée à la Fondation Louis Vuitton, la galerie ne s’attendait pas à cette invitation lancée par la FIAC. Ce coup de projecteur correspond au moment que l’on vit actuellement, « celui de la peinture » commente-t-elle. On imagine déjà, dans la pénombre de la maison de Delacroix, les petits formats de l’artiste, peintures à l’huile minutieuses, sur bois, dont le glacis très lisse crée un effet de brillance moderne, presque pop, contrastant avec l’atmosphère très construite et mélancolique de ses scènes de genre contemporaines, habitées de jeunes gens d’aujourd’hui. Une esthétique qui emprunte aussi à l’art de la miniature et à la patience des maîtres flamands. L’exposition devrait tourner autour d’œuvres de Delacroix évoquant des décors et des constructions.
Fragments de nostalgie
Les œuvres d’un autre jeune artiste auquel est également dédié un solo-show témoignent de l’orientation vers le figuratif qui s’esquisse dans plusieurs créations actuelles. Jousse Entreprise dévoile les peintures de Simon Martin, douces et nostalgiques, sentinelles subtiles de fragments de choses et de souvenirs, figées dans un temps rêvé, celui des réminiscences fragmentaires que notre esprit retrouve parfois. Les tâches de couleurs pastel, scintillantes, s’abreuvent de lumière blanche et évoquent le jaillissement de flashs mémoriels.
Ces coups de projecteur loin d’être exhaustifs ne doivent pas occulter un panorama plus large de l’émergence, dont les pépites se trouvent aussi chez Georges-Philippe & Nathalie Vallois avec Lucie Picandet et Pierre Seinturier, chez Poggi avec l’Ukrainien Nikita Kadam montré dans une exposition collective notamment aux côtés de Kapwani Kiwanga (Prix Marcel Duchamp 2020) ou encore chez Edouard Montassut avec les œuvres de l’Allemande Nora Kapfer.