La peinture troubadour est en
vogue au début du XIXe siècle. Le Moyen Age, si longtemps méprisé,
est réinventé par de jeunes artistes originaires de Lyon qui s’attachent à
représenter son architecture mais aussi ses contes et ses légendes…
Héloïse
et Abélard, Tristan et Iseult, Henri IV et Gabrielle d’Estrées, autant de
personnages historiques qui n’ont cessé d’alimenter l’imaginaire collectif par
leurs destins tragiques et leurs histoires d’amour impossibles. Devenus
légendaires par la plume des écrivains et des imagiers, ils connaissent une
fortune sans précédent au début d’un XIXe siècle qui délaisse l’idéalisation de
l’Antiquité au profit d’un retour à l’histoire nationale. La mode est au
« genre anecdotique », ainsi nommé par les critiques de l’époque, privilégiant
la représentation de l’histoire par le prisme des sentiments et de l’anecdote.
Valentine de Milan pleurant la mort de son
époux Louis d’Orléans, assassiné en
1407 par Jean, duc de Bourgogne, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg
Les
chefs de file de ce courant sont lyonnais, issus de l’atelier de David, et
s’appellent Pierre Révoil (1776-1842) ou Fleury Richard (1777-1852). Ce
dernier, fasciné par le gisant de Valentine Visconti qu’il voit lors de ses
déambulations au musée des Monuments français (1793-1816), fondé par Alexandre
Lenoir au couvent des Petits Augustins à Paris, présente au Salon de 1802 sa Valentine de Milan pleurant la mort de son
époux Louis d’Orléans, assassiné en
1407 par Jean, duc de Bourgogne. Le tableau est acclamé par les amateurs et
le public qui y voient, dans son intérieur gothique et la pose mélancolique de
la jeune femme, le point de départ d’une nouvelle peinture d’histoire, plus
intimiste. D’autres artistes (Bouton, Vauzelle) s’inspireront ensuite de la
mise en scène architecturale du musée des Monuments français, en particulier du
monument funéraire des célèbres amants Héloïse et Abélard (reconstitué puis
transféré en 1817 au cimetière du Père Lachaise) ainsi que des tombeaux royaux de
Saint-Denis.
Cette
même année 1802, Chateaubriand publie son Génie
du christianisme qui exalte la foi chrétienne au sortir des années
révolutionnaires. Dans ce contexte, l’intérieur des églises gothiques, leur
mystère et leur luminosité particulière, la vie monastique et la spiritualité qui l'accompagne deviennent
des sujets d’étude inédits alors que les premiers défenseurs du patrimoine,
comme l’abbé Grégoire, Aubin-Louis Millin ou Victor Hugo, crient la fin des
démolisseurs et des vandales.
Le
phénomène est porté par les écrits d’historiens et d’écrivains qui se livrent à
une véritable archéologie de l’histoire, doublée d’une toute nouvelle
conscience patrimoniale. Parmi eux, Les
Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France de Taylor et Nodier
connaissent le succès éditorial. Cryptes et tombeaux, cloîtres gothiques et chapelles
d’églises, châteaux médiévaux, parfois laissés à l’état de ruines, font revivre
les légendes ancestrales d’un passé rêvé. La peinture troubadour inventorie
ainsi, à sa manière, les monuments historiques ; dont certains ont disparu
depuis, comme la chapelle de l’Observance de Lyon ou l’Ermitage de Vaucouleurs
(inspiré du cloître Notre-Dame de l’Isle à Vienne, détruit par un incendie en
1822), représentés plusieurs fois par Richard. L’italien Luigi Bisi, lui, peint
avec minutie l’intérieur gothique de l’église de Brou, tandis que Forbin et
Granet se spécialisent dans la peinture de cloîtres.
Jean Auguste Dominique Ingres, Paolo et Francesca, 1819 © Angers, Musée des Beaux-Arts.
Le style troubadour plaît, avec ses tableaux de petits
formats et sa facture qui rappelle la peinture hollandaise du XVIIe siècle. L’impératrice
Joséphine en achètera plusieurs. Le décor gothique éclairé par une source de
lumière est prétexte à la représentation de scènes galantes et chevaleresques
qui restituent l’ambiance des siècles passés (architecture, mobilier, tenture,
vêtements, vitraux). Les artistes aménagent souvent la réalité des faits pour les
besoins d’une esthétique narrative inspirée par les récits d’Horace Walpole,
Walter Scott ou Mary Shelley. Puis, on assiste au glissement du « genre
anecdotique » vers le « genre historique », plus emphatique,
centré sur les épisodes marquants de l’histoire nationale et même européenne.
Ainsi retrouve-t-on Révoil et Fleury aux côtés d’Ingres et de Delaroche. Les
productions historiques du premier ne rencontreront pas le succès critique
attendu (bien qu’elles soient intéressantes pour nous : à noter
l’acquisition récente d’une œuvre d’Ingres L’Arétin
et l’envoyé de Charles Quint par le musée de Lyon) alors que le second
s’imposera avec sa Jeanne d’Arc, son Cromwell et Charles Ier ou ses Enfants d’Edouard (assassinés par
Richard III), largement diffusés par
la gravure puis copiés.
Ainsi, autour de 1830, le genre troubadour devient
« international » avec la Clique de St John’s Wood en Angleterre,
Pelagio Palagi en Italie ou Eduardo Rosales en Espagne. De Jeanne la Folle à
Marie Stuart, en passant par Charles Quint qui ramasse le pinceau de Titien, les
amours de Filippo Lippi et Lucrezia Buti, Le Tasse et Montaigne et autres Du
Gesclin et Bayard, la peinture troubadour encore mal connue, est nourrie
pourtant par des récits que nous avons tous un jour entendus. Ainsi se laisse-t-on conter l’histoire de France et d’Europe
en images...
Pour approfondir le sujet : le catalogue
en 2 volumes des expositions de 2014 au Monastère Royal de Brou et du musée des
Beaux-Arts de Lyon, éditions Hazan, 2014 L’invention
du passé, Gothique mon amour…1802-1830, tome I, 192 pages, 29 € ; L’invention
du passé, Histoires de cœur et d’épée en Europe, 1802-1850, tome
II, 320 pages + cd-rom, 39 €
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