Attardons-nous
un instant sur l’histoire d’un artiste. Aujourd’hui, j’ai choisi
de vous raconter l’histoire d’un Claude Monet secret et inconnu à travers sa
collection privée d’œuvres d’art. Vous ne le saviez peut-être pas, mais Claude
Monet avait une âme de collectionneur. C’est ce que propose de nous faire
découvrir pour la première fois le Musée Marmottan-Monet. Une collection
constituée de chef-d’oeuvres impressionnistes et pré-impressionnistes mais
également de quelques surprises qu’on n’attendait pas, comme des œuvres des peintres
de la vie parisienne : Constantin Guys, Jules Chéret ou encore
Toulouse-Lautrec que Monet appréciait particulièrement. Il paraît d’ailleurs
qu’au sujet de Toulouse-Lautrec Monet conservait chez lui quantité d’affiches
sur les murs de sa maison.
L’exposition
du musée Marmottan-Monet est donc un véritable événement. Un fabuleux voyage
dans la vie intime, les goûts et les amitiés du plus grand des impressionniste.
Qu’aimait-il, qu’avait-il aux murs de sa chambre à Giverny ? Un Renoir, Un
Manet, Un Pissarro ? Grâce à cette exposition, nous pouvons désormais
l’entrevoir, l’imaginer et le comprendre. Car il y a encore peu de temps, on
ignorait tout de cette collection privée. Et comme le rappelle la commissaire
de l’exposition, L’histoire commence en fait au soir de l’année 1920.
Il
faut imaginer, imaginer entrer un instant chez le peintre. Voilà ce qu’il s’est
passé. Monet reçoit chez lui, à Giverny, quelques amis. En fait il les emmène dans
sa chambre à coucher, où sont accrochés de magnifiques tableaux. Quelques
témoignages font référence à cet épisode mais sans plus de détails. Et c’est pourtant
à partir de cette faible indication que Marianne Mathieu, commissaire de
l’exposition, décide de mener l’enquête, curieuse de savoir ce que le grand
Monet pouvait bien conserver précieusement dans sa chambre. Son premier
réflexe est de se tourner vers l’inventaire après décès du peintre, qui liste
toute chose lui ayant appartenu/ Mais, pas de chance, l’inventaire a été
détruit par un bombardement anglais pendant la guerre. Marianne Mathieu se
tourne alors vers différents documents, livres de ventes, catalogues,
correspondances épistolaires…un vrai travail de fourmi pour tenter de retrouver
les traces des œuvres de cette collection secrète. Quatre ans d’un travail minutieux
digne d’une enquête policière. Pari réussi ! Aujourd’hui, dans
l’exposition, vous pouvez admirer plus d’une centaine d’œuvres venues des quatre
coins du monde, prêtées par les plus grands musées et collectionneurs privés.
La
chronologie de cette histoire inédite parle d’abord d’un Monet sans le sou,
puis d’un Monet qui progressivement connaît le succès et va bientôt acheter ses
contemporains en salle des ventes.
De
la première période date par exemple une caricature de Charles Lhullier qui
est aussi le plus ancien portrait connu du peintre. Un autre tableau, de
Gilbert Alexandre de Séverac, montre Claude Monet, jeune, encore imberbe, une
image très rare de l’artiste. Ces deux œuvres constituent, en fait, des dons
de la part de ses amis artistes. Car lorsque Monet arrive à Paris en 1859, il n’a
pas d’argent, vit une vie de bohème mais se fait un solide réseau. Au premier
rang duquel Manet et Renoir qui viennent rendre visite au peintre et à sa
femme Camille dans la maison qu’il habite désormais à Argenteuil. Vous les
rencontrerez dans l’exposition à travers leurs tableaux qui représentent des portraits de la famille Monet
et des scènes de plein air. Renoir sera le plus assidu et le plus prolifique
dans cet exercice. Ainsi, ce sont des tableaux d’amitié qui entrent chez Monet
et il en gardera certains précieusement jusqu’à sa mort.
Puis,
le temps passe, le réseau s’étoffe et s’ajoutent bientôt les échanges. Avec Gustave
Caillebotte, Berthe Morisot et Camille Pissarro, trois de ses plus chers amis.
Monet réalisera un grand panneau figuratif pour orner la résidence de Berthe
Morisot à Paris. Et en échange, il se contentera d’un tableau de son amie en
guise de paiement. De la même manière pour Camille Pissarro, auquel Monet
avance de l’argent pour acquérir une maison. A la place d’un remboursement pur
et simple, Monet souhaite que Pissarro lui donne le tableau intitulé Paysannes plantant des rames, une œuvre très importante qui avait
fait les beaux jours d’une exposition chez le marchand Durant-Ruel. Mais
l’anecdote raconte aussi que Pissarro venait d’en faire cadeau à sa femme Julie
qui ne fut donc pas très heureuse que l’œuvre lui échappe finalement ! Les
anecdotes sont nombreuses et l’on n'en finirait pas de les conter.
Un
peu plus loin dans l’exposition, l’histoire se poursuit avec trois Rodin, un bronze et deux plâtres. En échange de
l’un d’eux, on sait que Monet donna au sculpteur, une de ces 39 vues de
Belle-Ile-en-Mer, une peinture conservée aujourd’hui au musée Rodin de Paris.
Mais là où l’histoire de l’art devient plus croustillante c’est lorsque des
chef-d’œuvres sont redécouverts sur le tard. Ainsi un de deux plâtres de Rodin
figurant Deux bacchantes s’enlaçant
vient tout juste d’être déniché par la commissaire de l’exposition dans une
collection particulière française. C’est « la découverte » de
l’exposition s’exclame-t-elle enthousiaste. Rodin l’a signée « Au grand
mâitre C. Monet, son ami Rodin ». Voilà bien la preuve d’un cadeau du
maître de la sculpture au maître de la peinture.
A partir des années 1890, Monet est un artiste reconnu et a enfin
de l’argent. Fini les dons et les échanges. Il
acquiert désormais des toiles en salle de vente, jamais en son nom cependant, toujours en passant par un
courtier. Souvent par le biais des grands marchands de l’époque, Paul Durand-Ruel,
Ambroise Vollard ou Georges Petit. Il achète alors ses premières amours, les
précurseurs de l’impressionnisme, Corot, Jongking et bien sûr Eugène Boudin qui
avait été son maître au Havre. Ce qui ne l’empêche pas d’être fidèle à ses
contemporains. Deux sublimes baigneuses de Renoir en témoignent. L’œuvre la plus
importante et la plus fascinante est sans aucun doute le grand Nègre Scipion de Cézanne, œuvre de jeunesse d’un artiste encore
méconnu en 1895 mais que Monet admire et souhaite soutenir. Il l’acquiert 400
francs, une broutille à l’époque ! ça coutait en effet beaucoup moins cher
qu’un Corot, un Boudin ou un Renoir pour lesquels il doit débourser plusieurs
milliers de francs. Autre chef-d’œuvre du parcours, la Jeune fille au bain de
Renoir, un tableau dont on disait aux alentours de 1900 qu’il était
« éblouissant de couleurs, d’une merveilleuse époque de Renoir ».
Évidemment,
personne n’en doute, Monet avait très bon goût. Et il faut aujourd’hui
s‘imaginer que tous ces tableaux furent accrochés pour de longs ou de plus
courts moments aux murs de sa chambre à Giverny, aux côté des estampes
japonaises qu’il collectionnait en grand nombre. Une collection intime et
secrète que l’on découvre comme on lève un rideau pour entrevoir un trésor. On
touche aussi plus près à la vie quotidienne du peintre, aux membres de sa
famille, pour lesquels il acheta aussi beaucoup d’œuvres d’art. Il reste
probablement encore beaucoup à apprendre de cet aspect méconnu du grand peintre.
L’enquête a bien débuté et elle se poursuivra. Il ne nous reste plus qu’à
suivre ce conseil du peintre qui disait : « Ma collection est pour moi seul,
et pour quelques amis. Venez la voir ! » Eh bien, Allons la
voir !! Elle est au musée Marmottant-Monet à Paris jusqu’au 14 janvier.
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