🎧 Ecoutez la chronique sonore
Caravage.
Il suffit de dire son nom et des images extraordinaires de la peinture baroque nous viennent à l'esprit. Caravage,
le génie du clair-obscur, l'anticonformiste, le peintre du réalisme dont les pieds sales des saints ou le ventre gonflé de la Vierge ont fait scandale.
Caravage,
ce peintre lombard qui travailla pour les cardinaux les plus puissants, attisa les jalousies et engendra une série de suiveurs qui ont marqué leur temps, les Caravagesques.
Depuis le 21 septembre, une exposition sur ses années romaines a ouvert ses portes au musée Jacquemart-André à Paris :
"Caravage à Rome, amis et ennemis".
Le titre en lui-même est un tableau.
Toute la presse était là, avide de voir dix peintures de la main du maître, dont sept n'ont jamais été exposées en France. Dans cette toute petite exposition, ces dix chefs-d'oeuvre confrontent le peintre ténébreux à ses contemporains, amis admirés ou ennemis de rixe. Car Le Caravage, s'il est le protégé du puissant cardinal del Monte et du richissime banquier génois Ottavio Costa, il passe aussi ses nuits dans les bas-fonds de la Rome baroque, peu scrupuleux à l'égard des autres peintres qu'il juge sans mâcher ses mots. Il a sa liste des bons et des mauvais et semble la partager à qui veut bien l'entendre. On peut citer Le Cavalier d'Arpin, un personnage majeur dans la vie du peintre, chez qui il travailla un temps pour exécuter des natures mortes et des corbeilles de fruits. D'abord maître et ami, les deux artistes deviendront bientôt rivaux. De la même manière pour Orazio Borgiani, un ennemi, la main toujours sur l'épée, dont on peut admirer un puissant David et Goliath dans l'exposition.
"C'est bien dégoulinant et bien gore",
s'exclame le commissaire de l'exposition Pierre Curie à son propos, en détaillant les confrontations incessantes que se livraient les artistes romains. "Valentin de Boulogne meurt dans une fontaine, Le Cavalier d'Arpin est impliqué dans des histoires de bandes rivales, Ribera se bat souvent" continue le commissaire, friand d'anecdotes. Ses explications nous embarquent dans le quotidien de ces artistes au sang chaud. Comme si l'art de Caravage avait bouleversé autant les esprits de ses contemporains que l'histoire de l'art en train de se faire. Les peintures sont aussi démesurées que les pugilats entre confrères.
Derrière le sujet biblique de l'extraordinaire peinture représentant Judith décapitant Holopherne c'est bien la violence des bandes rivales qui transparaît. Celles qui s'affrontent sur le pont des Anges devant les têtes coupées des fauteurs de trouble qui y sont exhibées. Pillards, assassins, proscrits politiques, la Rome de la fin du XVIe siècle connaît une période de violence accrue qui recense plus de 25 000 brigands armés jusqu'au dents.
Et les meurtres sont le lot du quotidien.
La première partie de l'exposition est justement consacrée à ces têtes coupées, sujet à tonalité religieuse à la mode mais aussi teinté de réalisme et de sordide, celui de la rue et de la justice de l'époque. Rappelons que c'est en 1599 que Béatrice Cenci, âgée de 22 ans, est condamnée à Rome à la décapitation pour parricide. Une histoire qui a défrayé la chronique.
La même année, Caravage peint sa Judith.
A-t-il assisté à la condamnation ?
Embarqué à plusieurs reprises dans des confrontations violentes, l'artiste va finir par être condamné à la prison après un procès qui l'oppose à un autre peintre, Giovanni Baglione. Celui-ci porte plainte suite à des libelles qui circulent dans Rome. En fait, des poèmes satyriques qui dénoncent Baglione pour plagiat, le ridiculisent, le traitent de mauvais peintre.
Rome est hilare.
Ces paroles seraient signées de Caravage et de ses compères, le peintre Orazio Gentileschi et l'architecte Onorio Longhi. Baglione porte donc plainte pour diffamation contre Caravage. Mais c'était compter sans l'audace, l'arrogance et la désinvolture du plus grand peintre baroque qui semble intouchable. Ce dernier sortira de prison un mois plus tard grâce à l'intercession de Philippe de Béthune, ambassadeur du roi de France.
Dans l'exposition, l'histoire de ce procès est racontée à travers le tableau de Giovanni Baglione représentant L'Amour sacré terrassant l'Amour profane. Et sous les traits du satyre à gauche de la composition, on peut justement reconnaître le visage de Caravage. Baglione a voulu définitivement porter un coup - de pinceau cette fois - à son ennemi juré. Caravage avait peint, une année avant, un tableau représentant un Amour profane rigolard, qui sera beaucoup plus apprécié que l'oeuvre de Baglione qui fera rapidement figure de pâle copie.
Après cet épisode, les problèmes judiciaires ne cesseront pas. Caravage multiplie les exactions jusqu'au coup fatal, qu'il porte à Ranuccio Tomassoni le soir du 28 mai 1606, le tuant sur le champ. Lui-même blessé, Caravage doit fuir Rome et se réfugie d'abord chez la puissante famille des Colonna avant de gagner Naples où il peindra à nouveau des chefs-d'oeuvre. Condamné à mort par décapitation, il ne reviendra jamais à Rome, théâtre de ses plus beaux exploits artistiques.
Mort à 38 ans comme Pascal,Van Gogh, Rimbaud, écrit Dominique Fernandez dans le roman qu'il consacre à l'artiste. Génie incontesté de la peinture à la personnalité complexe, Caravage meurt le 18 juillet 1610 sous le soleil de la petite plage déserte de Porto Ercole alors qu'il avait en tête de rejoindre Rome pour obtenir la grâce du pape.
Peine perdue, le sort en décide autrement.
Il serait mort de fièvre, probablement de la malaria,
complètement seul.