lundi 24 mai 2021

Maître et élève, la transmission à l'oeuvre au Collège des Bernardins

Dans le grand réfectoire du Collège des Bernardins, je retrouve l'artiste plasticienne et professeure à l'Ecole des Beaux-Arts, Anne Rochette. L'oeil sage et attentif, l'allure digne et élégante, elle dégage une sensation de stabilité et inspire une confiance immédiate. Je me dis que cette femme qui enseigne depuis de longues années la matière mystérieuse de l'art semble avoir ce double pouvoir de transmettre et de laisser le jeune artiste se libérer afin de trouver son propre chemin. Car le sujet est bien là. Anne Rochette a accepté de monter une exposition avec deux de ses anciens élèves, Gwendoline Perrigueux et Cyril Zarcone. Trois œuvres qui habitent actuellement la sacristie du Collège des Bernardins, magnifique salle voûtée où la présence de la spiritualité aide à trouver des résonances et des signes intimes. Le son s'y déploie, les formes aussi sous la vertigineuse hauteur sous plafond tandis que les solides colonnes ramènent tout un chacun à l'ancrage dans la terre des ancêtres. 

Le titre de l'exposition "Il est plus beau d'éclairer que de briller seulement" est une phrase du philosophe et théologien Saint Thomas d'Aquin qui se poursuit ainsi : "de même est-il plus beau de transmettre aux autres ce qu'on a contemplé que de contempler seulement". La délicate question de la transmission de maître à l'élève est au cœur de cette exposition. Est-il véritablement possible de voir dans les œuvres des deux élèves d'Anne Rochette un lien avec sa propre création ? Peut-on voir dans l'élégante installation de Gwendoline Perrigueux, suspendue sous les voûtes du plafond de la sacristie, où le métal semble plus léger que l'air, ou bien dans la grande colonnade de Cyril Zarcone, une filiation avec les énigmatiques personnages de grès de Anne Rochette ? Pour éclairer nos interrogations, Anne Rochette nous explique comment l'exposition s'est construite, naturellement, sans rapport cette fois de maître à élève, mais plutôt d'artiste à artiste car ici, on n'est plus dans l'atelier d'Anne Rochette à l'Ecole des Beaux-Arts, mais hors-les-murs. 

Il y a probablement un intérêt particulier aux matériaux, aux volumes dans l'espace, au travail du corps dans les trois œuvres, un intérêt qu'Anne Rochette enseigne, transmet, dans son atelier de sculpture à l'Ecole des Beaux-Arts dont elle nous explique le fonctionnement qui met l'accent sur le collectif, le regard et les observations communes sur le travail des uns des autres. Mais comment déceler l'empreinte de l'enseignant dans le travail de l'élève. Très difficile. Le travail artistique est aussi une affaire personnelle. Anne Rochette rappelle qu'elle ne mélange pas sa pratique d'artiste avec sa pratique d'enseignante. Pour justement laisser une plus grande liberté à l'artiste en devenir. Mais alors, en tant qu'artiste, qui est-elle ? L'exposition du Collège des Bernardins, qui présente des sculptures de personnages masqués, nous en fournit quelques clefs. 

Anne Rochette nous précise également que lorsqu'elle est arrivée en poste à l'Ecole des Beaux-Arts, il y a 20 ans, la place de la femme était peu visible, voire presque inexistante au sein du corps enseignant, une expérience qui a marqué sa carrière de professeure mais aussi d'artiste et qui a probablement infusé dans sa manière de transmettre un savoir à ses élèves... Et être artiste aujourd'hui, est-ce plus difficile qu'avant ? oui, assure-t-elle. Anne Rochette regrette aussi que la pédagogie de l'art ne soit pas enseignée en France. 

"Il est plus beau d'éclairer que de briller seulement", une exposition à voir et à réfléchir autour de la question de la transmission de l'art, du rapport de maître à l'élève, du mystère qui lie les anciennes références et les pratiques nouvelles. Sous le commissariat de Sophie Monjeret, également ancienne étudiante à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, cette exposition est à découvrir dans la sacristie du Collège des Bernardins jusqu'au 15 décembre. Une occasion d'interroger la question de la transmission dans l'enseignement aujourd'hui. A noter que l'atelier d'Anne Rochette pourra se visiter sur inscription le 29 novembre 2019 à 17h pour découvrir les travaux de ses étudiants.