mardi 9 octobre 2018

La Venise de Tiepolo, à la croisée des arts

On ne compte plus les expositions liées à Venise et à ses peintres. Oui, encore et toujours Venise...immortelle, éternelle, mythologique, insatiable, fragile, immuable. Tant de mots peuvent la définir. La Sérénissime n'a eu de cesse de se raconter et de se donner en spectacle. Aujourd'hui, ce sont les hordes de touristes suivis de leurs valises à roulettes qui prennent parfois le pas, malheureusement, sur les beautés artistiques qui s'en trouvent alors étouffées.

Peut-on encore s'imaginer ce qu'a pu être la Venise du XVIIIe siècle, celle de Tiepolo, de Farinelli, de Vivaldi, de Goldoni et de Canaletto ? La Venise des peintures de masques et des fêtes de rues ? La Venise du carnaval, du théâtre coloré, des regards en biais et des fastes brillants, celle qui souffle son chant du cygne à l'orée de son déclin à la fin du XVIIIe siècle ? Un âge d'or souvent rêvé par les écrivains et les amoureux romantiques. C'est cette Venise là que veut restituer l'exposition, au-delà des tableaux et des vies d'artistes, la Venise du sentiment éphémère, des gens, de la beauté. Mais comment restituer l'évanescent dans une exposition bien classique plantée entre quatre murs ? Il manque les odeurs, les bruits de la ville, les conversations intimes, les ateliers d'artisans, les secrets d'alcôves et le mouvement de l'eau sous les gondoles. Il manque les 120 000 âmes qui peuplent la ville à cette époque et se déplacent principalement par voie d'eau. C'est pourtant à ce pari que s'est attaquée la scénographe Macha Makeïeff en créant un décor qui met en valeur la sensualité de la ville italienne. La Venise du XVIIIe siècle est en effet aussi fascinante que décadente. Et c'est ce qui fait son charme.

On assiste aussi bien au développement extraordinaire de la musique dans les Ospedale, qui sont des orphelinats qui forment les jeunes filles à l'apprentissage musical et en parallèle, à la multiplication des plaisirs érotiques et des ivresses du jeu favorisés par une grande liberté des mœurs que tous les touristes de passage décrivent. Cela se passe dans les casinos, comme au Ridotto du Palazzo Dandolo ouvert en 1638 et peint par Francesco Guardi. C'est la seule salle de jeu autorisée et gérée par la République de Venise. Les nobles y sont reconnaissables à leur toge noire et à leur perruque, tandis que les joueurs et joueuses sont masqués. Ce lieu licencieux sera fermé en 1774 suite aux nombreuses ruines financières qu'il a provoquées. Mais cela n'empêche pas d'autres lieux du même genre de continuer à prospérer. On y joue à la bassette, au pharaon ou au tric trac.

Venise se met donc en scène, aussi bien dans l'intimité des intérieurs de palais que dans les extravagances de rues. Même les artistes se mettent à croquer comédiens et vénitiens, comme les fameux Polichinelles de Tiepolo, mangeurs de gnocchis masqués et couronnés de lauriers, arborant une fourchette géante. Parodie du pouvoir et de l'orgueil. On est en plein dans la bouffonnerie de carnaval. Mais là encore, il n'est pas si simple de retranscrire cette effervescence dans une exposition. Macha Makeïeff a pourtant voulu nous y embarquer à sa manière. Plus on avance dans le XVIIIe siècle, plus les Vénitiens s'oublient dans les plaisirs. Certains sont plus modernes que d'autres, comme Le Mondo Nuovo, une attraction à la mode qui permettait de voir, à travers une chambre optique des images de vues de villes, proches ou lointaines. Comme un Vénitien de cette époque, vous pouvez, vous aussi, dans l'exposition vous pencher et regarder à travers ces lampes magiques, une invention merveilleuse que Carlo Goldoni décrit ainsi :
"ingénieuse petite machine qui étale devant vos yeux des merveilles,
par la magie de miroirs optiques
et vous fait prendre des vessies pour des lanternes".

Même si l'exposition met bien en valeur cette Venise du XVIIIe siècle, notamment à travers de magnifiques tableaux et dessins de Tiepolo, Guardi, Canaletto ou Piazzetta, il reste toutefois difficile de se mettre dans la peau d'un piéton qui arpente la belle italienne. Mais, là encore, Macha Makeïeff a eu une idée pour goûter à l'ambiance de la ville : inviter des groupes musicaux actuels avec le concours du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, des théâtres Gérard Philippe de Saint-Denis et de La Criée de Marseille, et la complicité du pavillon Bosio, l'école supérieur d'art  plastique de Monaco. Une manière originale de croiser les arts, puisque même la classe de jazz a été invitée pour l'occasion. Une audace anachronique mais pertinente, comme elle le souligne.

L'exposition "Éblouissante Venise" est visible jusqu'au 21 janvier 2019 au Grand Palais et l'agenda de la programmation événementielle autour de l'exposition est à retrouver sur le site www.grandpalais.fr. A savoir que les soirées "théâtre, musique et danse" ont lieu tous les vendredi de 19h à 22h ainsi que le week-end du 12 et 13 janvier et qu'un concert exceptionnel aura lieu le jeudi 29 novembre à 20h30 au salon d'honneur du Grand Palais avec les musiciens du CNSM. Espérons que l'exposition vous aura donné envie de voir Venise, autrement qu'en peintures cette fois.

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