Cela
aurait pu être des peintures sur le motif, aplats de couleurs et traits
spontanés où s’esquissent de manière virtuose des paysages et des scènes de la
vie quotidienne. Les œuvres de Pencréac’h sont bien sur le motif, mais le motif
de la mémoire, la mémoire de son enfance qu’il réactive comme aurait pu le
faire un Raoul Dufy face à la mer, un Gauguin sur ses vieux jours, un Matisse
s’il était parti tâter de la terre africaine. Mais après tout, si peindre sur
le motif est la retranscription d’un instantané, c’est aussi beaucoup de
sensations et de souvenirs mêlés venus à l’appui d’une représentation figurative
très personnelle. Sa nouvelle exposition galerie Vallois s’appelle Danané, du nom du village africain où il
passe quelques années de son enfance alors qu’il a sept ans, l’âge de raison,
l’âge où l’on commence à ressentir et expérimenter soi-même les choses de la
vie. Ce sont justement les flashs et les impressions enfouis dans sa mémoire
d’enfant que l’artiste est allé rechercher pour réactiver des visions et des
souvenirs qui ont marqué sa sensibilité et ont forcément participé à la
construction de son âme d’adulte.
A la manière d’un voyage mémoriel aux
contours un peu flous, voici la terre ocre dans toutes les œuvres, peintures et
sculptures en regard, dans un jeu de correspondances des matières et des
formes, voici les gouttes de pluie qu’il a sûrement senties sur son visage, les
insectes tropicaux qu’il a observés de près, peut-être disséqués, les routes
terreuses et les ponts de liane peu solides, les sensations de l’humidité et de
la sécheresse sur son corps. Formes, silhouettes, images, odeurs, tout ce qui
est resté figé, souvent des gros plans, peut-être obsessionnels, comme c’est
souvent le cas pour les souvenirs d’enfance que l’on a en nous et dont on se
rappelle la nuit ou dans les moments de pause de notre existence, tout ce qui a
fini par créer cet assemblage d’images diverses où la nature tient une place
particulière, la nature et les gens de ce village africain auxquels Pencréac’h
se sent attaché au plus profond de lui-même, plus qu’il ne l’aurait peut-être
imaginé. Le plus touchant est cette capacité à renoncer à toute dimension
intellectuelle ou théorique de l’art – à laquelle l’artiste nous a pourtant
habitué depuis plusieurs années en aimant intégrer dans ses créations des
citations à l’histoire de l’art ou à l’actualité qui nous entoure – cette
capacité à allier dans une fécondité nourricière le support et la matière -
huile, toile, panneaux de bois, terre cuite, arrêtes de poisson, morceaux de
liane…- pour créer plus que des œuvres d’art, de réelles reliques d’un passé
retrouvé, comme si chaque œuvre était un peu de cette Afrique aimée, à l’instar
de cet album photo qui n’a jamais existé où aurait pu être capté ce qui a un
peu hanté Pencréac’h et ce qui l’a beaucoup fasciné : araignées, singes,
cafards, libellules, brousse…
Aujourd’hui, ces réminiscences surgissent dans une
peinture plus primitive, sans fard. Pencréac’h recrée ainsi un morceau de son
histoire personnelle dont il n’a que des embryons, mais qui est surtout un
petit pan de l’histoire familiale, au point que sa mère, en voyant une unique
photographie de la famille datant de cette époque, discrètement intégrée à une
peinture, en a les larmes aux yeux. Débarrassé de toutes connivences
intellectuelles, l’artiste peint ici ce qu’on peut appeler de manière un peu
consensuelle un retour aux sources, ou bien plutôt une mise à nu.
Paris, le 13 avril 2019
Exposition du 6 au 30 avril 2019
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