lundi 29 avril 2019

Pencréac'h, sur le motif de la mémoire


Cela aurait pu être des peintures sur le motif, aplats de couleurs et traits spontanés où s’esquissent de manière virtuose des paysages et des scènes de la vie quotidienne. Les œuvres de Pencréac’h sont bien sur le motif, mais le motif de la mémoire, la mémoire de son enfance qu’il réactive comme aurait pu le faire un Raoul Dufy face à la mer, un Gauguin sur ses vieux jours, un Matisse s’il était parti tâter de la terre africaine. Mais après tout, si peindre sur le motif est la retranscription d’un instantané, c’est aussi beaucoup de sensations et de souvenirs mêlés venus à l’appui d’une représentation figurative très personnelle. Sa nouvelle exposition galerie Vallois s’appelle Danané, du nom du village africain où il passe quelques années de son enfance alors qu’il a sept ans, l’âge de raison, l’âge où l’on commence à ressentir et expérimenter soi-même les choses de la vie. Ce sont justement les flashs et les impressions enfouis dans sa mémoire d’enfant que l’artiste est allé rechercher pour réactiver des visions et des souvenirs qui ont marqué sa sensibilité et ont forcément participé à la construction de son âme d’adulte. 

A la manière d’un voyage mémoriel aux contours un peu flous, voici la terre ocre dans toutes les œuvres, peintures et sculptures en regard, dans un jeu de correspondances des matières et des formes, voici les gouttes de pluie qu’il a sûrement senties sur son visage, les insectes tropicaux qu’il a observés de près, peut-être disséqués, les routes terreuses et les ponts de liane peu solides, les sensations de l’humidité et de la sécheresse sur son corps. Formes, silhouettes, images, odeurs, tout ce qui est resté figé, souvent des gros plans, peut-être obsessionnels, comme c’est souvent le cas pour les souvenirs d’enfance que l’on a en nous et dont on se rappelle la nuit ou dans les moments de pause de notre existence, tout ce qui a fini par créer cet assemblage d’images diverses où la nature tient une place particulière, la nature et les gens de ce village africain auxquels Pencréac’h se sent attaché au plus profond de lui-même, plus qu’il ne l’aurait peut-être imaginé. Le plus touchant est cette capacité à renoncer à toute dimension intellectuelle ou théorique de l’art – à laquelle l’artiste nous a pourtant habitué depuis plusieurs années en aimant intégrer dans ses créations des citations à l’histoire de l’art ou à l’actualité qui nous entoure – cette capacité à allier dans une fécondité nourricière le support et la matière - huile, toile, panneaux de bois, terre cuite, arrêtes de poisson, morceaux de liane…- pour créer plus que des œuvres d’art, de réelles reliques d’un passé retrouvé, comme si chaque œuvre était un peu de cette Afrique aimée, à l’instar de cet album photo qui n’a jamais existé où aurait pu être capté ce qui a un peu hanté Pencréac’h et ce qui l’a beaucoup fasciné : araignées, singes, cafards, libellules, brousse… 

Aujourd’hui, ces réminiscences surgissent dans une peinture plus primitive, sans fard. Pencréac’h recrée ainsi un morceau de son histoire personnelle dont il n’a que des embryons, mais qui est surtout un petit pan de l’histoire familiale, au point que sa mère, en voyant une unique photographie de la famille datant de cette époque, discrètement intégrée à une peinture, en a les larmes aux yeux. Débarrassé de toutes connivences intellectuelles, l’artiste peint ici ce qu’on peut appeler de manière un peu consensuelle un retour aux sources, ou bien plutôt une mise à nu. 

Paris, le 13 avril 2019 
Exposition du 6 au 30 avril 2019

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