mardi 29 janvier 2019

Pablo Valbuena investit le 104

Lorsque je demande à Pablo Valbuena de me citer une ambiance musicale qu'il aime, il me répond immédiatement 4'33 de John Cage, avec un sourire, à savoir 4'33 de silence, préférant sans doute intimement le son à la musique, deux choses entretenant selon lui peu de liens. Le son ne peut être dissocié de la réalité. La musique, si, et nous embarque même vers des contrées imaginaires. Or, l'artiste est somme toute très pragmatique. Sérieux même. Son discours s'accorde à son attitude, les deux sont impeccables, enrobés d'une vision analytique digne d'un ingénieur ou d'une chercheur en physique. Et il embraye en me parlant de "musique concrète" qu'on pourrait aussi nommer "acoustique", le chant des sons en quelques sortes, celui qui rythme notre réalité et qu'il utilise minutieusement dans ses immenses installations lumineuses et sonores. Artiste ou architecte, designer ou magicien, que veut nous dire Pablo Valbuena à travers ses lignes lumineuses, qui s'apparentent à des tracés de plans d'architecte ou, pour les plus complexes, à d'obscures algorithmes ?

En France, il s'est déjà fait remarquer avec son installation Gyrotope créée sur l'emplacement de la future ligne 15 du Grand Paris Express. En 2014, il a aussi fait sensation avec Kinematope, autre installation éphémère lumineuse que l'on pouvait voir sur le futur quai de la gare d'Austerlitz alors en travaux. A chaque fois, l'artiste, qui est diplômé de l'école d'Architecture de Madrid, joue avec l'espace qu'il vient souligner à l'aide de lignes et de points lumineux. Notre perception de l'architecture en est bouleversée et l'on croirait par moment entrer dans un espace animé par des lignes vectorielles de jeux vidéos. Le lieu où nous sommes bien ancré semble vouloir nous tromper, comme si nous revivions à l'infini un bref moment de notre présence au temps présent... Son exposition au 104 s'appelle d'ailleurs "Si le temps est un lieu".

Voyage du réel au virtuel et du virtuel au réel, l'artiste nous incite à traverser des espaces peuplés de formes géométriques et de stations lumineuses minimalistes. Le tout dessine un espace mental nouveau. Au début de l'exposition, Pablo Valbuena convoque l'idée d'infini à l'aide d'une mosaïque en carrelage dont le dessin géométrique en noir et blanc peut être changé de multiples fois. Un peu plus loin, derrière un rideau, on entre dans une pièce obscure où sont projetées sur les murs des variations lumineuses en mouvement qui changent au fur et à mesure du temps qui passe. D'autres salles exposent des vidéos d'oeuvres réalisées à travers le monde ou des projets jamais aboutis. Si l'on a plutôt l'habitude de voir des artistes illuminer l'espace urbain ou les architectures, il est moins fréquent d'assister à une correspondance entre lumière et son, quand le son n'est pas seulement un habillage esthétique mais bien une composante de notre réalité.

Ainsi sur un escalier ou dans les espaces de circulation d'un musée, Pablo Valbuena recrée, ou plutôt souligne, une réalité qu'on a oubliée, celle de nos pas, celle de notre présence physique. Il nous réapprend à la sentir, à l'expérimenter. Ses installations sont avant tout des expériences. Alors si vous allez au 104 à Paris voir l'exposition Si le temps est un lieu, présentée jusqu'au 24 mars, oubliez tout ce que vous savez et ressentez. Les oeuvres de Pablo Valbuena vont vous emmener dans un autre monde spatio-temporel. Et préférez la nuit tombante pour voir s'éclairer la cour du 104.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire